« JAD » de Jamil Najjar - Quand la douleur devient cinéma et conscience

Tunis - Théâtre de l’Opéra, Cité de la Culture, par Aysha Debbish

Ce soir-là, la grande salle vibrait d’une émotion rare. Les lumières s’éteignent, le silence s’installe, et sur l’écran surgit JAD, le premier long-métrage du réalisateur tunisien Jamil Najjar. En quelques minutes, la salle retient son souffle : un drame brut, sincère, sans artifices.

Désormais JAD s’impose comme l’un des cris les plus forts du cinéma tunisien contemporain - un film qui dérange, qui émeut, qui réveille.

Un film né d’une plaie ouverte

À l’origine de JAD, il y a une douleur qui ne s’éteint pas : celle d’un père ayant perdu son fils dans un hôpital public, victime d’une négligence médicale. De cette blessure intime, Jamil Najjar a fait un acte de mémoire et de vérité. JAD n’est pas un film de vengeance. C’est un film de vie, une tentative de comprendre comment un système censé protéger peut devenir une machine à briser les âmes.

C’est aussi un hommage silencieux à toutes ces familles qui, un jour, ont attendu un miracle dans les couloirs d’un hôpital sans regard, sans chaleur, sans humanité.

L’hôpital, miroir d’un monde à bout de souffle

Le film plonge le spectateur dans l’univers suffocant d’un service hospitalier public : murs décrépis, matériel défaillant, files d’attente interminables… mais surtout, une indifférence glaciale.

Ici, la douleur ne choque plus personne. Elle fait partie du décor.

Parmi les figures qui peuplent ce microcosme, un personnage retient l’attention : Moncef, incarné par Abdelkarim Bennani. 

Corrompu jusqu’à la moelle, il représente cette petite bureaucratie du mal qui prospère sur la misère des autres. 

Avec un calme glaçant, il réclame de l’argent pour un service, détourne des médicaments, et pactise avec une infirmière complice, sous le regard impassible d’un corps médical indifférent.

Le jeu d’Abdelkarim Bennani est d’une justesse troublante : il incarne moins un “méchant” qu’un rouage d’un système malade, où la cupidité remplace la compassion et où la vie humaine se négocie.

Une humanité absente, un cri qui dérange

Jamil Najjar filme sans détour. Pas de musique excessive, pas d’effets larmoyants. 

Tout repose sur les visages : Mohamed Mrad, bouleversant en frère déchiré ; Souhir Ben Amara, Sondes Belhassen, Amel Hedhili, Saoussen Maâlej, Fathi M’selmani et Jamel Sassi livrent des performances d’une rare intensité.

À travers eux, le réalisateur expose un mal silencieux : l’absence d’humanité. Les médecins sont là, mais ailleurs. Les gestes sont mécaniques, les regards vides. Le spectateur comprend alors que JAD n’est pas qu’un drame individuel - c’est le portrait d’une société fatiguée, où la douleur est devenue routine et où la compassion a perdu sa voix.

Un cinéma qui agit

Mais JAD n’est pas qu’un cri d’alerte. C’est aussi un geste de solidarité. Jamil Najjar a annoncé que les recettes du film seront intégralement reversées aux hôpitaux publics, comme un retour du cinéma à la vie réelle, comme une manière de réparer, un peu, ce que la société a brisé.

Ce geste simple en dit long sur l’homme : derrière le cinéaste, il y a un citoyen, un père, un témoin qui croit encore que l’art peut panser les blessures qu’il met à nu. 

Un film coup de poing, un acte de foi

À la fin de la projection, un silence lourd envahit la salle avant qu’un tonnerre d’applaudissements éclate. Les spectateurs sortent bouleversés, souvent en larmes, mais conscients d’avoir vu plus qu’un film : un morceau de vérité.

JAD est de ces œuvres qui laissent une trace. Pas seulement dans la mémoire, mais dans la conscience.

Il rappelle que derrière chaque lit d’hôpital, il y a une vie suspendue, un regard qui attend, une main qui espère.

Et dans ce chaos, le cinéma retrouve sa plus belle mission : redonner un visage à l’humanité...